dimanche 24 septembre 2017

Théâtre des Opérations, Septembre '17

Blessé, affaibli, le Surfer a dû se retirer de la bataille par trop inégale. Il se prépare à l’ultime combat pour l’honneur. Mais la Terre est condamnée.

Journal de la Rêvolution Septembre ‘17



  Au sommaire de cette très mince édition de septembre du « Journal de la Rêvolution », vous trouverez deux notations, l’une à propos des Origines du capital fossile et de ces « économistes qui réchauffent la planète » ; l’autre, de la biopolitique à la géopolitique, indique quels sont les glissements du concept de gouvernance (dans le sillage de Foucault) qu’il faut réentendre à l’heure de l’Anthropocène. Vous trouverez également les rubriques habituelles de fin de billet: extraits de l’Agenda de la Pléiade il y a soixante ans, remerciements et liens vers les épisodes précédents du journal. 


Par ailleurs, un scénario se construit en parallèle, mettant en scène des personnages d’une série des Marvel Comics autour des figures emblématiques de Galactus et du Silver Surfer. Allez donc savoir quelle est la trame la plus importante du Journal : les diverses analyses et commentaires ou les aventures d’un super-héros ?
  Bonne lecture.


« Toute science se forge dans la discussion. Mais aucune ne se construit par la négociation. »
  Stéphane Foucart, L'avenir du climat : enquête sur les climato-sceptiques, Folio, 2010

 

... and the rate of breaking is accelerating since June 24th. Larsen C glacier has a surface of 5000 sq. km.

Résumé des épisodes précédents

1.     Qui est Galactus ? D'où vient-il ? Quel est son but ?
2.     Naissance du Silver Surfer, la plus belle création de Galactus, maître de l'univers.
3.     « Propage mes tweets dans tout l'Univers » lui dit-il. Silver Surfer s'élance vers les mondes habités.
4.     Le vaillant Surfeur d'Argent parviendra-t-il à échapper à l'emprise totalitaire de Galactus, le dévoreur de planètes ?
5.     La menace se précise. Galactus arrive. Sa destination : la Terre. Son but : y faire prospérer le capitalisme prédateur.
6.     Le Surfeur d’Argent prend son élan. Parviendra-t-il à se libérer de l’attracteur étrange ? La vitesse de libération est supérieure à 11 km/sec.
7.     Mais la force pure ne suffit pas, c’est là, dans sa prison, que le Surfer découvre le pouvoir de l’empathie.
8.     Galactus contre-attaque : « pauvre singe, tu crois pouvoir te libérer de mon emprise ? Ha ha ha !! Tu vas mourir. »

*

Les origines du capital fossile

Le passage de l'eau à la vapeur dans l'industrie du coton britannique.

  Pourquoi et comment en est-on arrivé là ? Quelles conséquences en tirer pour notre époque ?
  L'auteur, professeur de géographie humaine à l'université de Lund en Suède[1], propose avec le livre « L’anthropocène contre l’histoire : le réchauffement climatique à l’ère du capital », publié en anglais en 2016, plusieurs analyses articulées autour du climat dans l'histoire, à savoir : un court traité d'épistémologie climatique (une critique du concept d'Anthropocène) ; une thèse centrale et remarquable de la naissance du capitalisme anglais au tournant du XIXe siècle (son analyse de la transition des moulins à eau aux machines à vapeur dans l'industrie cotonnière est passionnante et justifie à elle seule la lecture de l'ouvrage); enfin, une analyse non moins pénétrante des origines de la guerre civile en Syrie qui clôt le livre, avec l'idée que le siècle en cours sera celui d'un cycle de révolutions et de contre-révolutions, résultant des déséquilibres de plus en plus prononcés du capitalisme et du climat.
  Il y a quelques différences notables entre l’édition originale Fossil Capital : the Rise of Steam Power and the Roots of Global Warming :
 et la traduction française :
 différences que nous avons du mal à expliquer, pour tout dire c’est comme si on avait affaire à deux livres différents.
  La version française est découpée en 4 chapitres indépendants, le plus important étant le chapitre 2 « Les origines du capital fossile », dont les sources sont communiquées en fin d’ouvrage pour trois d’entre eux ; les publications originales en revue s’étalant de 2013 à 2016. Quant au chapitre non identifié, il date de 2017 [2](« « L’enfer c’est ça » : quelques images dialectiques dans la fossile-fiction » qui contient une analyse d’un court roman hallucinant du palestinien Ghassan Kanafani, « Des hommes dans le soleil », écrit en 1962).

 La version anglaise est présentée comme une adaptation de la thèse défendue par l’auteur à l’Université de Lund et consiste en 16 chapitres interconnectés avec des parties inédites dans la traduction française, par exemple le chapitre 14 : « China as Chimney of the World. Fossil Capital Today ». Notons que ce chapitre a été traduit sur le site de la revue Période :
avec deux autres textes de l’auteur dont l’un est un guide de lecture du marxisme écologique :
  Bref, pour y voir clair, autant lire les deux livres, si possible ou attendre la parution en anglais pour début 2018 de son prochain livre The progress of this storm : on society and nature in a warming world.
  On peut se contenter des articles traduits sur Revueperiode.net qui constituent une bonne introduction à son propos.
  La thèse centrale des recherches d’Andreas Malm est d’établir le lien organique entre développement du capitalisme, utilisation des énergies fossiles, politique impérialiste et destruction des écosystèmes, en fait, établir les causes du « réchauffement climatique », non pas comme résultat d’une fatalité « anthropologique » (« c’est dans la nature humaine de détruire son environnement ») mais comme la conséquence du choix délibéré d’un modèle de développement économique et industriel que l’on peut dater et localiser dans l’Angleterre de la fin du XVIIIème et début du XIXème siècle. L’analyse est forte et documentée, elle participe à fond de ce nouveau courant de la gauche radicale, essentiellement anglo-saxon me semble-t-il, du marxisme écologique, et gagne à être connue d’un public francophone qui sera je l’espère réveillé par cet appel au changement révolutionnaire.

*

De la biopolitique à la géopolitique

On doit à Michel Foucault l’introduction du concept de biopolitique dans le discours universitaire (à partir de son cours au Collège de France en 1978-79, publié en 2004 sous le titre Naissance de la biopolitique, Gallimard) : « La biopolitique serait pour Michel Foucault, l'action concertée de la puissance commune sur l'ensemble des sujets, en tant qu'êtres vivants, sur la vie de la population, considérée comme une richesse de la puissance commune, devant être l'objet d'attention en vue de la faire croître et d'en accroître la vitalité. » [3]
Il s’agit d’une évolution des pratiques du gouvernement et de l’exercice de la souveraineté où les « objets » sur lesquels s’exercent le pouvoir deviennent les hommes « par le nombre » (via la statistique, les recensements), afin d’en assurer le compte pour la fiscalité mais aussi d’en contrôler la santé ou la sécurité. Cette pratique s’ajoute ou se superpose à celle du contrôle des territoires où la souveraineté  s’investit par la délimitation de frontières, le maintien de places-fortes etc.
Dans cette vision du pouvoir politique, la puissance de l’Etat s’exercerait principalement, ou d’abord, sur les corps (et par extension sur les esprits) des « sujets » du Souverain, plutôt que sur les lieux qu’ils habitent. Bien évidemment, les habitats et les populations sont le plus souvent liées, en « l’état naturel », mais l’enfermement, en prison, dans les ghettos ou dans les camps, participe de cette visée du contrôle de certaines populations via des lieux choisis ou conçus pour leur facilité de surveillance.
Dans l’ouvrage de Malm cité plus haut, il y a une brève remarque selon laquelle le mode du gouvernement contemporain évolue de la maîtrise du nombre des hommes à une réappropriation des territoires, d’une politique des hommes vers une politique de la Terre. Le concept de géopolitique qu’il emploie me parait très juste dans cette vision, le sens traditionnel de rapport entre puissances qui se partagent le monde comprenant aussi la lutte pour l’accès aux ressources de la Terre, se trouvant élargi et dépassé par le sens d’une politique où la Terre devient le véritable « sujet » du politique ; en somme, toute politique future serait déterminée en priorité par le destin de Gaïa. Comment ne pas être insensible à cet appel d’un futur, dans lequel les conséquences du réchauffement sont d’abord celles qui jouent, d’une manière complexe et imprévisible, sur les paramètres géophysiques (océans, atmosphère, glaciers, sols) du « vaisseau Terre », avant d’influencer les écosystèmes et les sociétés humaines qui en font partie ? Et quelle politique digne de ce nom ne serait-elle pas requise pour être à la hauteur des difficultés, sinon une géopolitique ?

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Rubriques

  Et nous terminons cette revue des événements mémorables ou minuscules du mois, par un écho de la cruelle vie littéraire il y a soixante ans, rappelés à notre bon souvenir par l’Agenda 2017 de La Pléiade.
Septembre 1957 : « Toujours bien têtu, je pense à la Pléiade, et que c’est vachement le moment !» écrit Céline à Nimier le 1er.
 L’édition par Gérard-Gailly des Lettres de Madame de Sévigné dans la Pléiade est désormais complète : le tome III et dernier paraît le 5 septembre.
 Le 19, Céline, mi-plaisant, mi-sérieux, suggère à Nimier d’organiser dans « les milieux téesefeux» un débat entre Roger Vailland et lui. Céline dirait du bien de La Loi, Vailland affirmerait que les œuvres de Céline sont dignes de la Pléiade ; « Nous plaisanterions oh, une minute ! sur mon assassinat… que c’était la mode ! » »


Le trait d’union, Dessins d’André Malraux, in Agenda 2017, Bibliothèque de la Pléiade

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Merci à :
Walt Whitman pour Leaves of Grass / Feuilles d’herbe,
à Ralph Waldo Emerson pour The Essays
(ainsi qu’à Montaigne, Bacon et Pascal pour leurs propres Essais ou Pensées)                           
et à tous les penseurs de la décroissance qui nous aident à (re)p(e/a)nser le monde qui viendra.
- Amitiés
P.S. (rappel publicitaire) : Avez-vous acheté votre Ubik de protection? Ne tardez pas. Il vous protègera des uns et des autres.

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Remerciement spécial à Maurice G. Dantec (Grenoble, 13 juin 1959 – Montréal, 25 juin 2016), « écrivain nord-américain de langue française » comme il se définissait lui-même, à qui j’emprunte le titre de Théâtre des opérations pour le texte que vous venez de parcourir.
Et sans oublier Jack Kirby, le créateur du Silver Surfer qui fit sa première apparition dans les pages de Marvel Comics en mars 1966.
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Précédents épisodes du Théâtre des Opérations : consultez les archives du site, une publication mensuelle depuis Janvier '17. Dernier épisode prévu : Décembre.





[1] Consulter la liste complète des travaux de recherche : http://portal.research.lu.se/portal/en/persons/andreas-malm(4b7fa7d4-0cb4-423a-a783-11c920a6d868)/publications.html http://portal.research.lu.se/portal/en/persons/andreas-malm(4b7fa7d4-0cb4-423a-a783-11c920a6d868)/publications.html
[2] 'This Is The Hell That I Have Heard Of': Some Dialectical Images in Fossil Fuel Fiction
Andreas Malm 2017 Apr 11, In : Forum for Modern Language Studies. 53, 2, p. 121-141
[3] Article Wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Biopolitique