samedi 14 octobre 2017

Las Vegas



Las Vegas, stade suprême du libéralisme 

À lire sur ce sujet, Zéropolis, l’essai de Bruce Bégout.

Philosophe adepte de la méthode de description « des choses mêmes » (phénoménologue), il développe dans ses livres inspirés par son expérience de terrain aux USA, divers aspects de la désorientation et de la déréalisation de la vie urbaine moderne, celle des banlieues, des zones d’affaires, des centres commerciaux, des parcs d’attraction, des échangeurs routiers etc. 

Las Vegas ou mieux, Los Angeles deviennent ainsi les modèles d’un univers urbain inversé par rapport aux centres historiques des villes européennes : il n’y a plus de centre fermé par une enceinte mais une Suburbia (titre d’un autre de ses livres), en expansion infinie dans laquelle les repères stables disparaissent et où le seul mode de déplacement possible est la voiture. Ainsi, l’expérience de la mobilité, des enseignes commerciales, des bâtiments temporaires et des rubans routiers contribuent à créer chez l’explorateur de ces zones les éléments d’une nouvelle psyché tentée par le néant. 

Bruce Bégout écrit : « Las Vegas, la grande banlieue de L.A., a su créer une urbanité nouvelle faite de la déconnection et de la simulation ludique. Le Strip, cette avenue principale qui traverse la ville du sud au nord, représente pour l’historien Alain Hess la « vision ultime des avenues commerciales que l’on trouve aux abords de toutes les grandes villes américaines ». In statu nascendi, Las Vegas offre la possibilité d’étudier comment les villes post-industrielles peuvent recycler à grande échelle les immenses espaces abandonnés à cause de la révolution informatique et s’organiser autour de ces artères et dômes dévolus essentiellement au commerce et aux loisirs de masse. Pour Edward W. Soja, l’hyper-réalité est sortie des limites de Disneyland et, depuis vingt ans, sert de modèle urbain et social aux villes. Cette invasion d’une urbanité factice et ludique a créé une nouvelle sorte de ville : exopolis, la ville sans intériorité, qui se tient dans ses surfaces. Soja note très justement que ce n’est pas la simulation qui est gênante, mais ce qu’elle simule : univers enfantin du jouet et du kitsch. On pourrait demander des comptes à ceux qui, à la suite de Tom Wolfe dans les années 1960, s’extasièrent devant cette architecture électrographique et pop. Ils annonçaient des changements de sensibilité, mais surtout de nouvelles potentialités d’être et d’agir. » (in Suburbia, p. 291). 

A l’évidence, ces « nouvelles potentialités d’être et d’agir » ont fini par laisser des traces durables – comme on l’a vu récemment chez un individu tout à fait dans la « norme » qui poursuivait secrètement des rêves de postérité sanglante –et cet individu était un « joueur ». Je relève dans un article du Monde Diplomatique d’août 2012 qui m’avait déjà amené à reconsidérer mon expérience de touriste en 2006, « Las Vegas, stade suprême des Etats-Unis », que cette ville présente un taux de suicide parmi les plus élevés du pays ; mais, comme l’indique le médecin légiste Michael Murphy : « les gens pensent que ce sont d’abord les touristes et les joueurs qui se suicident. Or ce sont très majoritairement les habitants. » Il ajoute un peu plus loin : « Le taux de suicide tient sans doute aussi à cela, à l’isolement des individus, à l’absence de soutien de proches en cas de coup dur, à la faiblesse des relations de voisinage. Une très grande majorité des habitants n’ont personne sur qui compter en cas de difficulté. » Entre paupérisation, absence d’équipements collectifs – tout dans la ville est sacrifié au Strip incandescent, et dislocation de l’espace et du temps envahi jour et nuit par le scintillement des machines de jeux et le bruit envahissant, l’individu anomique, l’atome social idéal rêvé par les sociologues positivistes, n’a au bord de l’épuisement que le choix entre le suicide ou le meurtre de masse. 

John Brunner imaginait pour le début du XXIème siècle dans Tous à Zanzibar, roman d’anticipation écrit en 1967 et que j’ai déjà eu l’occasion de signaler plus d’une fois sur ces pages, un quotidien fait "d’amochages" aléatoires dans les villes, sur le modèle de la « folie furieuse » ou amok, transe meurtrière et suicidaire devenu épidémie sociale où des individus de plus en plus nombreux, « pètent les plombs » comme on dit vulgairement. Mais non sans une certaine sagesse populaire, car l’expression renvoie à l’univers électrographique décrit par Bruce Bégout et qui est la première chose qui frappe le voyageur dès son arrivée à Las Vegas. Notre expérience de la conscience dans la surréalité de Las Vegas, stade suprême du libéralisme, est celle d’une suspension à un fil électrique mis à nu, entre l’être factice des hôtels-casinos géants et le néant des enseignes au néon.



Timothy Morton et une nouvelle définition de l’humanité. La fin de l’anthropocentrisme

Quoted from the interview of Timothy Morton you can find in the website of Verso Books, London-based independent publisher focused on radical left and ecological thinking: “Anthropocentrism is a bug, it’s not a feature”. In his book called simply Humankind, the author defines what he calls “the symbiotic real”, being the solidarity between all living organisms at a planetary scale. Just think about the “host-parasite” paradigm between you and the bacterial microbiome inhabiting your intestine or about the retrovirus ERV-3 DNA code embedded into mammalian’s genome explaining why “you are reading this because a virus in your mother’s DNA prevented her body from spontaneously aborting you’”. Just think to all these interrelations, connections, dependencies and try to define what is your “self”, your identity. The author goes onto a journey to redefine an “object-oriented ontology”. How does that translate into Hegel’ Science of Logic?



Nietzsche et la profession du philosophe

Conférence PHI de Patrick Wotling (dans la belle bibliothèque du CIERL - Centre Interdisciplinaire d’Etude des Religions et de la Laïcité de l’ULB) sur Nietzsche, auteur de Nietzsche et le problème de la civilisation aux PUF; ci-après, mes notes :

1. Œuvre ou corpus très structuré en dépit des apparences

2. Nietzsche rejette le principe de la réfutation : est-il encore un philosophe ?

3. Rapport du philosophe à la Vérité - qui n’est pas neutre ou désintéressé mais de vénération / monde idéal

4. Conflit entre l’exigence de la philosophie et la manière dont elle est pratiquée : trahison initiale de Platon qui met d’emblée la philosophie sur un mauvais pas. Nietzsche reproche aux philosophes leur manque d’honnêteté

5. Nécessite radicale d’une révision de la pratique philosophique afin de dépasser les « interprétations » (jugement de valeurs)

6. Par conséquent la pratique radicale de la pensée devrait suspendre toute l’approche philosophique traditionnelle

7. « Tout serait-il faux ? »

8. Expertiser les problématiques afin de questionner avec radicalité

9. « Qu’ai-je le droit de faire comme philosophe ? » se demande Nietzsche

10. « Comprendre la Culture »

11. Naissance de la tragédie, paragraphe 15 - c’est quoi alors le Problème de la culture (ou de la civilisation) qui devrait remplacer la Question de la Vérité dans la pensée philosophique ?

12. Doubles définitions de la morale, de la religion etc. 1. Les morales sont le produit des pulsions, des régulations d’actions, des résultats, des interprétations. 2. Les morales sont des sources de transformation des hommes, i.e. des causes, des instruments de culture. Donc à la fois : des systèmes de valeurs et des instruments de domination, et pour Nietzsche, les deux à la fois

13. Cause et conséquence, symptôme et remède : ce sont les deux éléments régulateurs de la culture. Il faut sortir de la logique causale ou unidirectionnelle. Le schéma causal laisse échapper la valeur propre du réel.

14. Le philosophe est un médecin capable de mener une généalogie, de remonter aux sources axiologiques des valeurs et de les comparer avec l’état des vivants.

15. En comprenant ses causes véritables, le philosophe peut intervenir et changer les types d’hommes : c’est « l’élevage » qui suit la généalogie.

16. Le philosophe est celui qui contraint le jeu du hasard : c’est cela le problème de la culture.

17. Quelles sont donc ces techniques d’influence des pulsions, de fabrication d’un « cheptel humain » ?