dimanche 29 octobre 2017

Théâtre des Opérations, Octobre '17


L’Archè. Le Vortex primordial. Etre et néant. Le Moteur Premier immobile. Le Surfer d’Argent est saisi d’étonnement et de doute : « se pourrait-il que « Je » soit l’apparition du Nous divin, cela et rien d’autre que ce  ? Tout ce que je vois ici est pure illusion, pense le Surfer, maléfices du dévoreur des mondes, de l’attracteur universel ; or, je n’ai de certitude que du doute et sur cette conviction, prenant appui pour mon salut sur cette planche qui est l’extension de ma pensée, je me propulse dans le tourbillon de ma libération. Mais pour quelle finalité ? La liberté est-elle réelle ? Ou une autre illusion de ma conscience ? Si le démiurge est Galactus, le maître mauvais, alors je dois mettre en doute mon doute lui-même qui n’est qu’une émanation de sa pensée, dans une régression jusqu’à l’origine d’où la question ultime surgit, dans ce là de l’Etre et du Néant. Je reviens alors à mon étonnement et ne peux conclure qu’à l’existence d’une prison universelle et l’illusion de ma liberté de conscience. Sauf qu’avec cette conscience, je peux me commander et proclamer la fondation de la liberté. » Il ramasse sa force : « Je veux ! » commande-t-il du centre du Vortex et voici que, répondant à cet appel, le Phénix apparait. Un sourire déforme son masque de parfait androïde. Il sait qu’il est à l’origine. Ex nihilo ! Et il s’élance. Mais une voix le rattrape alors qu’il glisse sur les Anneaux de Saturne avant de reprendre son souffle et revenir sur Terre : « ex nihilo nihil fit ! ».


Journal de la Rêvolution Oct. ‘17


  Au sommaire de ce mois-ci, je n’ai rien à vous proposer d’autre que les rubriques habituelles de début et de fin de billet : outre le feuilleton du Silver Surfer, des extraits de l’Agenda de la Pléiade il y a soixante ans, les remerciements et les liens vers les épisodes précédents du journal, autrement dit : aucun « article » digne de ce nom.
  Pourtant, les notes rassemblées depuis quelques mois, pour certaines d’entre elles, n’auraient pas manqués de donner lieu à l’un ou l’autre micro-essai : « Transhumanistes vs Bioconservateurs », « Sciences & Fausses Sciences », « Lénine et la Révolution », « Du Pamphlet »… ; mais il se fait que je ne suis arrivé à rien de satisfaisant. C’est la crise. Ou une grosse panne d’inspiration si vous voulez. Ou peut-être que j’étais juste occupé par des choses plus importantes que d’alimenter un blog à date fixe. Nez en moins. Je persiste. Car il ne peut y avoir de trou dans le processus du développement « rêvolutionnaire » ; quelques absences ou vides sont tolérés, mais le rien ? Le Rien est scandaleux, il n’est pas pensable, il n’est pas, ne peut pas « être », puisqu’il est « rien ». Parménide l’a enseigné à une époque lointaine. Aristote aurait écrit que « la nature a horreur du vide ». J’ignore s’il s’agit d’une citation approximative, la plus proche à ma connaissance d’où l’on peut inférer cette proposition se trouve dans Le Traité du Ciel, dont voici un aperçu :

§ 9. On voit, du même coup, que ni l'espace, ni le vide, ni le temps ne peuvent être en dehors du ciel ; car dans l'espace tout entier, il peut toujours se trouver un corps ; et par vide, on entend d'ordinaire le lieu où il n'y a pas de corps, mais où il pourrait y en avoir. 
§ 10. Quant au temps, il est le nombre du mouvement ; et il n'y a pas de mouvement possible sans un corps naturel. Or on a démontré qu'il n'y a pas et ne peut pas y avoir de corps en dehors du ciel. Donc il est évident que ni l'espace, ni le vide, ni le temps ne peuvent être non plus en dehors du ciel. 

(*) Dans la traduction de Jules Barthélémy-St-Hilaire, 1838 – disponible ici.

  Les mythes cosmogoniques et la théologie, enseignent que la création « est sortie du néant ». Avant qu’il y ait quelque chose il y avait un Créateur et la création dans son déploiement, son dépliement jusqu’aux limites du temps présent, est l’expiration du long souffle divin. « Ex nihilo ».
  Mais aussi, dans le De Rerum Natura, Lucrèce, en bon matérialiste, expose que rien ne se crée à partir de rien : « ex nihilo nihil fit ». Annulation de la proposition précédente ou, ce qui revient au même, disparition du Néant, le renvoi du rien au Rien et l’application stricte du principe de non-contradiction, le néant ne peut à la fois être et n’être pas.
  Il existe en cosmologie du XXème siècle une théorie, aujourd’hui abandonnée, qui postule que l’univers est éternel et immuable et que la matière se crée continuellement à partir du vide pour combler les effets de l’expansion, et ce, afin de maintenir l’univers dans un état homogène et isotrope, en tous points de l’espace et du temps. Connue sous le nom de « théorie de l’état stationnaire », elle fut proposée par les astronomes Fred Hoyle (par ailleurs, auteur de science-fiction), Thomas Gold et Hermann Bondi à la fin des années 1940. On sait qu’elle est remplacée par la théorie, qui fut sa concurrente jusque dans les années 1960-70, du « big-bang » ou de l’inflation initiale à partir d’une singularité d’espace et de temps. J’ai toujours considéré la théorie de l’état stationnaire plus élégante que celle du big-bang (ne me demandez pas pourquoi), théorie qui ressemble furieusement à la transposition scientifique des mythes et des théologies de la Création. Evidemment, la théorie du steady state bute aussi sur l’aporie indémontrable de la création continue de matière à partir de rien, et sans doute est-elle plus scandaleuse encore pour la logique que l’hypothèse d’un commencement absolu dans une grande gerbe de feu. Mais je n’en suis pas si sûr. Il me semble que les physiciens en sont toujours au stade des méditations de Parménide sur l’Etre. Le défaut des théories créationnistes est qu’elles impliquent une régression à l’infini de la question de l’origine : si l’Univers est le résultat d’une création divine, qu’est-ce qui a créé le Créateur ? Si celui-ci est incréé, éternel, égal à lui-même en tous points de l’espace et du temps, n’est-il pas alors l’hypothétique « champ C » postulé par Hoyle, Gold et Bondi pour expliquer la création continue de la matière ? En somme, ce qui oppose les deux théories, c’est leur rapport à la temporalité : statique dans l’état stationnaire, dynamique dans le big-bang. Toute l’histoire de la métaphysique occidentale est prise en étau entre ces deux modèles de pensée : l’être et le devenir. On sait qu’Hegel est arrivé à réaliser une grande synthèse ; un peu comme si, transposée dans le champ cosmologique, on supposait que l’univers a pour finalité de se réaliser pleinement dans un processus, qui n’est autre que celui de la conscience du sujet. C’est assez alambiqué. Cela manque d’élégance, c’est-à-dire de simplicité. Du coup, les scientifiques sont obligés d’élaborer de nouveaux modèles pour expliquer ce qui a pu se passer « avant le big-bang » : un trou noir, un autre univers, des univers multiples. Mais il faut toujours passer par le moment de la singularité, l’instant T0 de la Création. Proprement impensable. La faiblesse d’une théorie « historique » de l’Etre, c’est-à-dire basée sur le devenir, la transformation des choses, est qu’il faut bien également tenter d’anticiper l’autre dimension du temps, le futur. La théorie de l’état stationnaire ne se préoccupe pas du temps mais de l’éternité. Tout est déjà contenu dans le « champ C », autre nom peut-être d’un principe transcendant, hors de portée de notre entendement mais non point de notre raison.
  Le « rien » est un des plus beaux thèmes de méditation, rien d’étonnant qu’il soit à la source de « l’autre pensée », celle qui vient de Chine, du Japon, de l’Inde.
  L’histoire est cette fiction que notre civilisation construit pour justifier du primat de la volonté. Le « je veux » est alors l’équivalent d’un principe de causalité qui met les choses en mouvement.
  Chacun des marins, des soldats, des ouvriers, des employés, des artisans, des petits commerçants, qui se réunissaient pendant les mois de fièvre de la révolution russe de 1917 pour discuter, décider en commun, dans les fameux « soviets », croyaient à leur volonté. Mais pas à la volonté d’un démiurge solitaire et arbitraire qui choisirait on ne sait trop pourquoi de créer le monde, ou les structures sociales, ou les lois de la propriété ou de la production, de telle ou telle façon. Ils croyaient au pouvoir d’une volonté collective qui se construit dans la discussion, le débat, l’argumentation, chacun égal à son voisin, purs atomes politiques. L’histoire des cités et des révolutions nous apprend que la démocratie directe des conseils ne « marche » bien que pendant une période courte ; aux acteurs succèdent les dictateurs qui viennent mettre bon ordre dans le chaos des décisions, les atermoiements ou les revirements permanents d’opinion, au grand soulagement de (presque) tous, faut-il le dire. Et les assemblées populaires ne sont pas les meilleurs garantes de la justice. Pourquoi le peuple d’Athènes s’est-il laissé séduire par Alcibiade qui lui promettait monts et merveilles et n’écouta-t-il pas le sage Nicias, avant de laisser entreprendre la désastreuse expédition de Sicile ? Parce que le leader émerge de la foule comme la matière du vide. Il s’en créera toujours l’un ou l’autre. Malheureusement pour les affaires humaines, l’équivalent politique du « champ C » de la théorie de l’état stationnaire, dissipe vite son énergie dans la conversation, laquelle engendre la connerie par facilité, et se termine en commandement d’un chef.



« …Dans la forêt, il y a des chemins qui, le plus souvent encombrés de broussailles, s’arrêtent soudain dans le non-frayé.
  On les appelle Holzwege.
  Chacun suit son propre chemin, mais dans la même forêt. Souvent, il semble que l’un ressemble à l’autre. Mais ce n’est qu’une apparence.
  Bûcherons et forestiers s’y connaissent en chemins. Ils savent ce que veut dire : être sur un Holzweg, sur un chemin qui ne mène nulle part. »
- Martin Heidegger

 

Résumé des épisodes précédents du Silver Surfer

1.     Qui est Galactus ? D'où vient-il ? Quel est son but ?
2.     Naissance du Silver Surfer, la plus belle création de Galactus, maître de l'univers.
3.     « Propage mes tweets dans tout l'Univers » lui dit-il. Silver Surfer s'élance vers les mondes habités.
4.     Le vaillant Surfeur d'Argent parviendra-t-il à échapper à l'emprise totalitaire de Galactus, le dévoreur de planètes ?
5.     La menace se précise. Galactus arrive. Sa destination : la Terre. Son but : y faire prospérer le capitalisme prédateur.
6.     Le Surfeur d’Argent prend son élan. Parviendra-t-il à se libérer de l’attracteur étrange ? La vitesse de libération est supérieure à 11 km/sec.
7.     Mais la force pure ne suffit pas, c’est là, dans sa prison, que le Surfer découvre le pouvoir de l’empathie.
8.     Galactus contre-attaque : « pauvre singe, tu crois pouvoir te libérer de mon emprise ? Ha ha ha !! Tu vas mourir. »
9.     Blessé, affaibli, le Surfer a dû se retirer de la bataille par trop inégale. Il se prépare à l’ultime combat pour l’honneur. Mais la Terre est condamnée.


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Rubriques

  Et nous terminons cette revue des événements mémorables ou minuscules du mois, par un écho de la cruelle vie littéraire il y a soixante ans, rappelés à notre bon souvenir par l’Agenda 2017 de La Pléiade.
Octobre 1957 : « 16 octobre : le prix Nobel de Littérature est décerné à Albert Camus « pour l’ensemble d’une œuvre mettant en lumière les problèmes qui se posent de nos jours à la conscience des hommes ». Franc-Tireur publie le 18 la première réaction de Camus : « Je me trouve un peu jeune. Personnellement, j’aurais voté pour Malraux. Je suis simplement reconnaissant au jury Nobel d’avoir voulu distinguer un écrivain français d’Algérie. »
  « Effrayé par tout ce qui m’arrive et que je n’ai pas demandé. Et pour tout arranger attaques si basses que j’en ai le cœur serré », note Camus dans ses Carnets le 19.
  Emile Henriot rend compte du Vent de Claude Simon dans Le Monde du 21 octobre : « réel, têtu, touffu, solide, étrange et total : M. Claude Simon est tout cela ». Mais il avoue, d’une part, que ces adjectifs lui ont été soufflés par « M. Robbe-Grillet », et d’autre part qu’il n’est pas parvenu à lire le livre jusqu’au bout.
  Le 29, Nimier évoque pour Céline les ventes D’un château l’autre : « nous sommes loin de Sagan, bien par votre faute, vous qui n’avez que des accidents de guerre et pas d’accident de voiture ».


Dyable pas d’accord, Dessins d’André Malraux, in Agenda 2017, Bibliothèque de la Pléiade

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Merci à :
Anaximandre, Démocrite, Héraclite, Parménide, Thalès et Xénophane pour quelques-uns de leurs fragments sauvés de l’oubli (de l’Etre),
à Heidegger pour Holzwege
et à tous les penseurs de la décroissance qui nous aident à (re)p(e/a)nser le monde qui viendra.
- Amitiés
P.S. (rappel publicitaire) : Avez-vous acheté votre Ubik de protection? Ne tardez pas. Il vous protègera des uns et des autres.

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Remerciement spécial à Maurice G. Dantec (Grenoble, 13 juin 1959 – Montréal, 25 juin 2016), « écrivain nord-américain de langue française » comme il se définissait lui-même, à qui j’emprunte le titre de Théâtre des opérations pour le texte que vous venez de parcourir.
Et sans oublier Jack Kirby, le créateur du Silver Surfer qui fit sa première apparition dans les pages de Marvel Comics en mars 1966.
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Précédents épisodes du Théâtre des Opérations : consultez les archives du site, une publication mensuelle depuis Janvier '17. Dernier épisode prévu : Décembre.